
Par Olivier Dénommée
Le temps passe très vite, cela fera déjà un mois le 12 novembre que le deuxième gros festival de jazz de Montréal est terminé. Plus d’une centaine d’artistes, la plupart québécois, ont brûlé les planches pour faire entendre leur passion pour cette musique méconnue. Ils ont eu une belle visibilité le temps d’un spectacle, mais que deviennent-ils en ce moment? Où en sont leurs projets? Quels artistes allez-vous aimer? Critique de salon répond à toutes ses questions, à sa façon.

Christine Jensen
Le spectacle du Christine Jensen Jazz Orchestra avait donné le coup d’envoi de la 14e édition du OFF Festival de jazz de Montréal de belle manière, avec près d’une vingtaine de musiciens sur scène et la salle du Lion d’Or presque remplie pour l’occasion. La saxophoniste anglo-montréalaise profitait également de cette soirée spéciale pour lancer son tout nouvel album intitulé Habitat. Christine Jensen et son big band ont touché vaguement à de la musique contemporaine, mais les musiciens n’ont pas su résister longtemps à l’appel du jazz. L’assistance a eu droit à beaucoup d’énergie de la part de l’orchestre, puis à des moments plus lents et lyriques. Le tout, avec une précision irréprochable. Les nombreux solos étaient une occasion en or pour les musiciens de vraiment montrer leur virtuosité sur scène, mais le plus impressionnant était la section rythmique qui n’a jamais bronché.
Depuis l’OFF Jazz, Christine Jensen n’est pas moins occupée, au contraire! Elle jouera à Toronto le 11 novembre, mais aussi au Café Résonance le 20 novembre. Plusieurs autres dates sont prévues jusqu’au milieu de l’hiver, sur son site web. De plus, sa discographie devient de plus en plus étoffée, avec Habitat qui est son 6e album.
Cédric Dind-Lavoie, contrebassiste expérimenté, et son quatuor ont offert une prestation appréciée au OFF Jazz. Le Cédric Dind-Lavoie Quartet a surpris l’audience avec un style très proche de la musique du monde. Le quatuor a joué des styles éclectiques, en offrant une performance irréprochable. Le groupe a exploré une facette méconnue du jazz, avec l’apport efficace des éléments de musique du monde et une instrumentation inhabituelle. C’était rafraichissant.
Son quatuor était le premier projet où Cédric Dind-Lavoie composait des musiques instrumentales, et son projet est encore méconnu. Aucun album ne semble encore produit pour cet ensemble, mais souhaitons qu’il sorte un peu plus de l’ombre. Au moins, c’est possible d’écouter un peu de musique sur son MySpace pour découvrir son style, mais ce n’est pas assidument mis à jour.
Le saxophoniste montréalais Chet Doxas et son quatuor ont joué des compositions originales lors de leurs représentations au festival. La synergie des musiciens était très bonne et Chet Doxas a eu de la compétition pour obtenir l’attention du public, puisque son guitariste était d’une intensité impressionnante. Le style du quatuor est un heureux mélange de plusieurs branches du jazz, gardant les meilleurs éléments de chacun. Des mélodies complexes comparables à l’ère bebop, une section rythmique portée vers le fusion et des solos qui semblent à l’occasion inspirés du mouvement free jazz, entre autres. Dans tous les cas, c’était interprété avec virtuosité.
Chet Doxas est un habitué du Upstairs, resto-bar où la musique jazz est souvent à l’honneur. Il y joue pratiquement chaque lundi soir. Par contre il part prochainement pour une petite série de spectacles en Europe. Bref, le saxophoniste se tient assez occupé. Du côté des albums, son dernier, Dive, est sorti plus tôt cette année.
Le pianiste terre-neuvien et son groupe faisaient notamment la promotion de leur nouvel album, Returning, en venant au festival. L’esthétique musicale du trio est simple mais fort efficace : Jeff Johnston joue de belles mélodies, généralement assez apaisantes, alors que le contrebassiste et le batteur le complimentent de façon discrète. Du moins dans les pièces plus calmes, qui rappellent énormément le smooth jazz. D’autres compositions, plus agitées et plus complexes, ont permis au trio de se dégourdir un peu plus et de montrer sa virtuosité. Le trio est plus fort pour offrir une ambiance bien ficelée plutôt que de la haute-voltige musicale.
Returning est sorti plus tôt en 2013, après de nombreux autres albums avec divers musiciens. Il n’est malheureusement pas facilement accessible en dehors du site du pianiste. Le groupe n’est pas de Montréal, mais il fera tout de même une apparition au Résonnance Café le 23 novembre prochain. Plusieurs critiques considèrent les albums de Jeff Johnston comme parmi les meilleurs enregistrements de jazz canadien, rien de moins. En effet, cela s’écoute très bien.
La sherbrookoise Lisanne Tremblay et ses musiciens ont joué au Résonance Café dans le cadre du OFF Festival de jazz. La violoniste et compositrice mélangeait avec son «4tet» une belle énergie jazz à une technique plus «classique». Le dynamisme des musiciens semblait inébranlable et le spectacle a été fort apprécié.
Le groupe n’a pas encore d’album à son actif et malheureusement, il médiatise peu ses concerts. Souhaitons plus de visibilité au Lisanne Tremblay 4tet, il le mérite!

L’ensemble The Yoush promettait une prestation empreinte d’humour et d’énergie comme on en voit rarement sur la scène jazz. Promesse tenue, puisque le groupe a offert une représentation sans faille. Musicalement, c’était plus que festif, avec des styles rappelant le klezmer et un peu le vaudeville. Les vents à l’avant-scène faisaient un travail impeccable, jouant souvent en harmonie ou carrément trois mélodies distinctes qui forment un tout. Très impressionnant et efficace. Mais la vraie inspiration du groupe? Un certain Steve Day, sur qui le pianiste fait vraisemblablement une fixation. Avec des titres tels que Don’t you think she’s a bit young for you, Steve Day, He’s a Steve Day kind of guy (if you know what I’m sayin’) (and I think that you do) ou encore, No, I’m not going to name this song after you, Steve Day, vous voyez immédiatement le genre de Malcolm Sailor, pianiste et compositeur du groupe.
The Youjsh a un album à son actif, Who’s Next, mettant en vedette Steve Day. Celui-ci est disponible en spectacle ou en ligne. Par contre, l’ensemble ne semble pas faire beaucoup de prestations pour faire connaître son style, ce qui est regrettable.
Marcin Garbulinski Quintet a joué au Résonance lors du OFF Jazz. Le contrebassiste polonais d’origine a offert une prestation bien ficelée mais plus conventionnelle dans le style. Beaucoup de solos – souvent deux ou trois par pièce – ont été joués par les musiciens tous très talentueux.
Le quintette jouera au Upstairs le 2 décembre, et fait quelques spectacles de temps à autre. Il ne semble pas encore d’album à son actif pour aider à se faire connaître plus.
Le Nordest Trio du contrebassiste Christophe Papadimitriou a occupé la scène durant le festival, pour jouer plusieurs de ses compositions au style simpliste, comparé par l’équipe du festival à l’esthétique du jazz scandinave. Effectivement, le trio a offert une prestation où la mélodie était généralement épurée mais poignante, avec un accompagnement léger. Suivaient ensuite de longs solos virtuoses où les musiciens se laissaient aller en souriant. Le tout, sans faille.
Le groupe a été formé assez récemment, et donc aucun album n’a encore été produit, mais on nous promet qu’on va remédier à la situation d’ici le début de l’an prochain. Un groupe à suivre avec des musiciens extrêmement talentueux.
À l’OFF Jazz, le Litania Projekt du trompettiste Jacques Kuba Séguin a surpris la foule du Sala Rossa avec un audacieux hydride musical. Au menu : une énergie jazz bien ficelée avec en avant le violoniste Adam Baldych, de formation plus classique. La plupart des compositions reflétaient donc cette dualité, créant une moitié de pièce de style plus néoclassique, puis une autre moitié où le jazz prend la place. Tous les musiciens du Litania Projekt sont parvenus à jouer dans les deux styles avec brio. Jacques Kuba Séguin a donc réussi à réunir deux genres relativement contradictoires de façon harmonieuse. Tous les solistes ont été épatants, mais la performance du Polonais Adam Baldych a été particulièrement étonnante et intense.
Aucun album pour le Projekt n’est encore produit, et on peut se demander si le spectacle, présenté par le consulat polonais, se répètera. Avec le talent de tous les musiciens, ont peut espérer que d’autres occasions de les entendre se répèteront à l’occasion.
Le Joel Kerr Quartet a offert une performance à la Casa del Popolo. Le contrebassiste saskatchewannais et son groupe ont joué plusieurs de ses compositions, mais aussi quelques reprises de groupes de différents genres. Ainsi, le groupe a quitté le jazz pur pour frôler l’indie-rock le temps de quelques chansons. La chimie du quatuor était intéressante et la présence d’un claviériste jouant uniquement du Rhodes apportait une touche très différente par rapport à un piano conventionnel. Le band a, somme toute, offert une prestation qui faisait du bien à entendre dans ce festival.
Le quatuor est un groupe récent et il n’a qu’un démo disponible en ce moment. Joel Kerr avait déjà d’autres groupes à son actif dont le Joel Kerr Quintet avec qui il a fait un album. Il se tient assez occupé entre ses divers projets.
Beaucoup de talent, pour la plupart inaccessible au grand public à cause du manque de visibilité des artistes de jazz qui ne l’ont pas facile. C’est pourquoi la survie des festivals comme l’OFF Festival de jazz est nécessaire pour permettre à la scène jazz d’avoir un peu de publicité, sans quoi elle tomberait facilement dans l’oubli, sauf quelques trop rares exceptions.