Drudkh, légendaire groupe de black metal ukrainien, sort des studios avec son dixième album complet, A Furrow Cut Short.
Qui ça? Drudkh, bois en sanskrit, est un quatuor formé en 2002 à Kharviv qui donne dans le métal atmosphérique et introspectif, par des voix criées et maintes utilisations de claviers. Drudkh ne fait aucun spectacle, ne dévoile aucune photo de groupe ou d’eux-mêmes et se fait très discret sur la planche web. Par leur inspiration incessante, chacun des membres fait ou a fait partie de huit projets différents. À la différence de plusieurs groupes de black métal, Drudkh ne touche pas au satanisme dans ses thématiques, du moins dans ses titres, mais plutôt à la nature, à l’humanité comme à la philosophie et à la mythologie, demeurant tout de même nationaliste. On le verra utiliser à certaines reprises les paroles d’anciens poètes ukrainiens.
Si l’avant-dernier opus, Eternal Turn of the Wheel, ne m’avait pas accroché avec autant de vivacité que ses premières réalisations, j’avais la puce à l’oreille dès l’écoute de la première des sept longues pièces. Ultra-sélectif comme je suis face à ce style, je ne m’attendais pas à être happé de plein fouet comme je l’étais lors de l’écoute de Blood in our Wells ou d’Autumn Aurora, si le groupe optait pour une sonorité similaire. Effectivement, ce n’est pas sa meilleure parution, mais elle est tout de même très bonne.
Il faut noter que la distorsion est moins marquée au son des guitares dans les albums plus récents que dans Blood in our Wells, par exemple. En effet, bien que le schisme sonorité (contenant) et mélodies (contenu) soit nécessaire à une meilleur dissection critique, je dois tout de même rappeler que pour une appréciation exceptionnelle, le son et les riffs doivent tous deux atteindre de célestes sommets. Néanmoins, ici, bien que j’aurais préféré une sonorité plus crue des guitares et plus d’insistance sur la batterie qui semble s’être un peu estompée, le tout a une sonorité très appréciable.
Si généralement le contenu de l’album nous permet d’identifier facilement Drudkh des autres groupes de la même branche, j’ai cru moins apprécier les longs breakdowns lancinants, par ailleurs aussi moins présents que dans les albums plus vieux. Pour les mélodies, je crois qu’elles demeurent aussi travaillées que celles qui les précèdent. Je ne peux que noter que chaque album de Drudkh est à un point singulier qu’il est de ces quelques rares groupes qui méritent une écoute et une réécoute complètes, qu’on lui fasse une critique ou non. Tout auditeur a ses préférences, suffit d’être au moins néophyte pour le croire.
Les chants toujours assumés par le même mec depuis les débuts, pas de changement notable ici. On entend sur la pièce Embers des parties de violon, dont un fondu à la fin, qui collent drôlement bien avec les mélodies de guitares. Bel ajout.
Force est d’admettre que pour des albums dits plus «atmosphériques», parfois les distinctions entre les pièces sont brouillées et il est évidemment plus facile de vérifier l’appréciation de celui-ci comme entité complète que comme plusieurs morceaux distincts. Véritablement, le découpage en lequel se traduisent les différentes pièces n’est que formalités. Aucun riff ne me chavire de mon siège toutefois à la première écoute, mais pour les suivantes, je crois que Cursed Sons I en vaut grandement le détour, tout comme pour la pièce Dishonour II, vers ses deux tiers. Le LP termine en force avec Till Foreign Ground Shall Cover Eyes, où la guitare y est remarquable.
L’écoute est pour moi «relaxante», presque méditative, apportée par quelque chose d’un peu plus progressif pour les guitares dans l’ensemble. La batterie est quant à elle assez redondante, mais des percussions autres que répétitives ne s’emboîteraient pas vraiment pour ce genre d’opus atmosphérique. Agréable de ce côté, donc. Le seul hic est le drôle de son similaire à un grincement de porte sec et rapide, mais intermittent dans l’une des pièces. Erreur de production?
Nombreux sont les groupes de black métal qui balancent un message clair avec grande animosité, qu’il soit politique, philosophique, religieux ou autre. Dans A Furrow Cut Short, on aligne les mélodies et on laisse place aux images qui s’imposeront d’elles-mêmes dans nos esprits [toujours trop occupés d’être humains branchés à pleine puissance sur le 21e siècle]. Parfait pour l’introspection, car, de toute façon, les langues slaves, j’connais pas. Si, cependant, vous perdez intérêt lorsque la batterie est redondante et n’effectue pas une kyrielle de passes créatives ou de changements de tempo, ou même que l’enchaînement d’accords mineur après mineur après mineur plus primitif est votre unique avenue, grandes sont les chances que vous allez vous ennuyer à l’écoute de cet opus. D’un autre côté, même si les chants sont typiquement «black», cette parution est probablement plus accessible pour vous si vous dénotez un mal de tête en présence de guitares au son cru. Plus à votre portée que Darkthrone, disons.
Pièces à écouter : Cursed Sons I, Dishonour II
7,8/10
Par Mathieu Laferrière