L’album Leucocyte est très particulier dans la discographie du Esbjörn Svensson Trio : il a été lancé à l’automne 2008, quelques mois après le décès tragique du pianiste donnant son nom au groupe. Aussi, cet album est né d’une séance d’improvisations de deux jours en Australie, offrant du matériel beaucoup plus éclaté que par le passé, si on compare à sa dernière sortie, Seven Days of Falling.
L’album est extrêmement chargé, et particulièrement tendu. On sent que le trio a tenté une nouvelle direction avec cet opus, offrant au passage deux suites, Premonition (deux pistes) et Leucocyte (quatre pistes).
L’intro Decade permet de commencer en douceur cet opus, avant de passer à . Cette longue pièce de 17 minutes est très lente et longue à véritablement démarrer. Il faut attendre le second tiers pour que cela devienne intéressant et le dernier quart devient presque un fouillis musical. C’est aussi l’occasion de constater que le trio s’est amusé davantage avec les effets électroniques. Cela se confirme aussitôt avec Premonition / II. Contorted, alors que les effets volent la vedette à la mélodie au piano, pourtant très belle. Cette dernière prendra, heureusement, le dessus au fur et à mesure qu’on avance dans l’écoute de la piste de six minutes.
Après toutes ces années à réinventer le jazz, E.S.T. revient à un style très conventionnel pour sa compo appelée justement Jazz. C’est donc un peu un retour aux racines, une piste durant. Vient ensuite la stressante Still (la mélodie n’arrive que très tard et les drones sont extrêmement présents, encore), puis Ajar, où enfin on a droit à seulement une douce mélodie à la Keith Jarrett. Dommage, cela ne durera même pas deux minutes!
La dernière portion est consacrée à la suite Leucocyte. Leucocyte / I. Ab initio démarre avec une énergie rock très pesante, suivi d’une minute de silence, littéralement, pour Leucocyte / II. Ad interim. Leucocyte / III. Ad mortem est quant à elle probablement la pièce de l’opus (et même de la discographie complète d’E.S.T.) la plus inquiétant. À ne pas écouter la nuit. Une mélodie moins stressante finit par apparaître à la toute fin, devenant subtilement la finale, Leucocyte / IV. Ad infinitum. La tension ne part pas complètement, loin de là, mais cette suite (et cet album) se clôturent bien mieux ainsi qu’avec Ad mortem. Après tout, l’album est plutôt tendu du début jusqu’à la fin, alors c’était représentatif.
Esbjörn Svensson et ses comparses ont osé produire quelque chose de différent pour l’opus Leucocyte, ne sachant pas que ce serait la dernière session d’enregistrement qu’ils feraient ensemble. Après avoir apprivoisé et adoré à peu près tout ce que le trio a produit dans les huit années précédentes, c’est évidemment un changement assez important de style, qui ne plaira pas à tous, surtout ceux qui n’ont pas déjà d’affinités avec les drones. Et comme le groupe n’aura pas le temps de peaufiner cette nouvelle direction, Leucocyte pourra laisser un petit goût amer en bouche pour ceux qui espéraient que le band suédois poursuive dans la voie qui l’a rendu célèbre.
À écouter : Premonition / II. Contorted, Ajar, Leucocyte / I. Ab initio
7/10
Par Olivier Dénommée