Le nom du trompettiste Miles Davis est, tout d’abord, associé à son album mythique Kind of Blue, album de jazz le plus vendu de tous les temps. Juste en dessous, on retrouve d’autres albums qui ont marqué l’imaginaire de son genre, dont le controversé Bitches Brew, où il a tenté d’offrir un opus majoritairement improvisé, précurseur du jazz fusion et du funk. Rappelons que l’album est paru en 1970, et que le band consistait de plusieurs gros noms, comme Wayne Shorter, Chick Corea, John McLaughlin, Jack DeJohnette et Dave Holland pour n’en nommer que quelques-uns. Jusqu’à 13 musiciens jouaient en même temps en studio.
Bitches Brew est une œuvre massive : 105 minutes sur la version CD (incluant la piste bonus Feio, de près de 12 minutes), avec une pièce de 27 minutes! Pour cette raison et pour la raison de l’âge de l’album, la critique portera davantage sur l’héritage laissé par Bitches Brew. Tout de même, survolons très sommairement ce qu’on y entend.
Disque 1
Le premier disque ne contient que deux pistes, cela peut vous donner une idée. Le début de Pharaoh’s Dance donne effectivement l’impression d’entendre une espèce de jazz-rock, mais en plus nerveux, un peu comme ce que fait Badbadnotgood aujourd’hui. Le build-up est long (on parle quand même d’une pièce de 20 minutes) et on semble avoir droit à une série de solos, au point d’oublier qu’il y a déjà eu quelque chose qui ressemblait à un thème. C’est encore pire dans le début de la pièce-titre Bitches Brew, où la trompette de Miles Davis explose un peu à chaque note, en plus des effets ajoutés en postproduction. Heureusement, cette composition de près de 27 minutes change souvent d’énergie, nous amenant dans d’autres directions, justement plus jazz-rock. Mais définitivement, on est bien loin des pièces de Kind of Blue ici.
Disque 2
La bonne nouvelle, c’est que celui-ci contient cinq compositions, aux longueurs légèrement plus amicales pour l’auditeur moyen. Notons une composition de Davis intitulée John McLaughlin, soit le nom du guitariste du band. Celui-ci y joue, vous vous en doutez, un rôle prédominant. C’est aussi la plus brève de tout l’album, avec 4 minutes 25. Sinon, entre les gros morceaux improvisés qui ressemblent majoritairement à la première moitié de l’album se retrouve le funky Miles Runs the Voodoo Down.
L’héritage
Bitches Brew est ouvertement un album avant-gardiste à plusieurs niveaux. Miles Davis avait déjà participé à deux mouvements, le cool jazz et le jazz modal, mais il allait plus loin encore en jetant encore les bases des nouvelles formes de jazz, même si le résultat, à l’oreille de l’époque et même aujourd’hui, était très loin d’être peaufiné. Assurément, pour la grande majorité de l’album, la valeur repose plus sur les concepts explorés que sur les qualités musicales en tant que tel; après tout, quelles mélodies retient-on franchement dans Bitches Brew? De plus, une première était l’utilisation aussi «massive» de la postproduction dans la modification des pistes, donnant un résultat aussi mémorable pour l’auditeur attentif et enthousiaste. Si aujourd’hui modifier une chanson en postprod est non seulement facile mais même presque mal vu, c’était une révolution pour l’époque.
Il est aussi digne de mention que plusieurs des musiciens qui ont participé à cet enregistrement ont été inspirés de former leurs propres projets d’envergure quelque temps après. On devrait donc, entre autres, la naissance de Weather Report, Return to Forever et du Mahavishnu Orchestra à ces sessions d’enregistrement en 1969. Plus près de nous, Radiohead a déjà admis que c’est cet album qui a inspiré la création de son opus OK Computer, en 1997.
Pour toutes ces raisons, il serait bien malvenu de ne pas considérer l’album comme une pièce d’anthologie qui a permis la naissance de très belles choses par la suite. Cependant, très rares seront ceux qui pourront apprécier Bitches Brew dans leur salon. Il paraît bien dans une collection, mais est toujours aussi difficile à digérer auditivement si on n’est pas bien préparés mentalement.
À écouter : Disque 1 : Bitches Brew // Disque 2 : John McLaughlin, Miles Runs the Voodoo Down
7,3/10
Par Olivier Dénommée